C'est l'histoire d'une tragédie qui nous emportera tous si l'Union européenne n'agit pas avant le 17 juin. Avant que les Grecs ne retournent aux urnes.
La démocratie a besoin de temps long, la crise jouit du temps court. Elle ne peut que gagner et faire le jeu des démagogues. Pour l'instant, ils ne sont que 6,9 % àavoir voté pour le parti néonazi d'Aube dorée. Même s'il devait en rester là, ce chiffre sonne comme une alerte. N'en déplaise à ceux qui, sur Internet, n'y voient qu'une figure journalistique pour éviter de parler des "vrais problèmes" ou du score effectivement plus important de Siriza, la multiplication des ratonnades contre les immigrés dans les rues d'Athènes ne relève pas de la "mythologie grecque", mais d'une triste réalité.
Après avoir nié le danger de l'intégrisme musulman sous prétexte du racisme, certains sont visiblement prêts à nier le danger de l'extrême droite et du racisme sous prétexte de la crise grecque. Ceux-là vivent visiblement dans un monde simple, bien plus idéologique que journalistique, où l'on choisit son camp : celui des purs contre les méchants. Les musulmans contre George Bush, les Grecs contre Angela Merkel. De même qu'il n'existerait aucun danger intégriste sous prétexte que Bush était le pire président du monde, les Grecs ne seraient coupables de rien... sous prétexte qu'Angela Merkel est une chancelière désespérante.
Pourtant, rien n'est si simple. Du moins si l'on accepte de regarder ces enjeux sous un angle factuel et non idéologique, c'est-à-dire en face. L'Allemagne, qui a fait tant d'efforts et de sacrifices pour mettre ses comptes à flot après la réunification, est logiquement réticente à l'idée de faire cause commune avec laGrèce, mais coupable de ne pas avoir fait passer cette réticence avant l'intérêt général.
Elle ne fera rien tant que ses propres taux d'intérêt seront mieux servis par l'abandon que par la solidarité, c'est-à-dire la mutualisation des dettes au niveau européen. Cette prise de conscience finira bien par arriver. Une faillite grecque entraînera l'Europe et ses banques, y compris allemandes, dans un tourbillon qui nous affectera tous. Le problème, c'est que ce déclic arrivera trop tard.
Agir avant le 17 juin
C'est maintenant, avant le 17 juin, qu'il faut proposer aux Grecs un nouveau plan européen, fait de temps et d'oxygène pour rembourser, de monétisation de la dette par la Banque européenne et de vieille dette renégociée. C'est ce plan, plus urgent que les euro-obligations, qui presse. Lui seul peut leur donner envie de trouver une majorité constructive, où la colère juste de Siriza et le pragmatisme nécessaire du Pasok pourraient cohabiter.
Après, il sera trop tard. Trop tard pour convaincre les Grecs que leurs efforts en valent la peine. Trop tard pour éviter la faillite, la sortie de la zone euro et la tentation autoritaire. Ce jour-là, très bientôt, il ne servira à rien d'en vouloir aux Grecs, pourtant responsables. Que ce soit par un libéralisme hérité du rejet du communisme, ou par hantise de l'inflation ayant fait le lit du nazisme, ceux qui ont tardé à faire le nécessaire devront assumer leur part de responsabilité : avoir fait le jeu de tout ce qu'ils redoutaient.
Caroline Fourest, Sans détour
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